Création d'un code civil français trilingue

Guillaume Deroubaix, DirecteurGénéral adjoint de Lexis Nexis France, est interviewé par Catherine Peulvé, Rédactrice adjointe du Juriste International, sur la publication par LexisNexis France d’un code civil français traduit en anglais et arabe. Cet outil pourrait intéresser tout particulièrement les membres de l’UIA.

Juriste International (JI) : Quel cheminement vous a conduit à envisager la publication d’un code civil français trilingue ?

Guillaume Deroubaix (GD) : Plus de 200 ans après sa première publication, le code civil continue de rayonner au-delà des frontières françaises. Il reste le point d’appui de nombreux textes codifiés ou non-codifiés dans le monde. La publication d’un code civil trilingue résulte essentiellement d’un besoin de la part des chercheurs et des praticiens du droit non-francophones d’accéder au code civil français dans sa version la plus récente, puisqu’afin de mieux maitriser les spécificités d’une juridiction de tradition civiliste, un retour au document source demeure essentiel. Pour que la langue ne soit pas une barrière, nous avons pris l’initiative, avec Sader publishing, co-éditeur de ce code, de réunir dans un seul ouvrage une traduction anglaise et arabe de l’intégralité du code civil français. Ce code s’inscrit également dans la volonté de LexisNexis et de son partenaire Sader Publishing de diffuser la culture civiliste auprès des juristes du monde entier et d’encourager internationalement la promotion du Rule of Law.

JI : A quel objectif répond le choix des langues sélectionnées ?

GD : Le choix de l’anglais et de l’arabe comme langues de traduction est avant tout pragmatique : il fallait que le contenu et les concepts du code civil français soient abordables par le plus grand nombre, y compris les juristes de Common Law et de droit musulman. Ces deux langues constituaient le meilleur moyen pour accéder à une communauté juridique la plus large possible. Ensuite, l’anglais et l’arabe sont des langues d’affaires pour une grande partie de la population mondiale. Enfin, Sader Publishing et LexisNexis travaillent dans des régions où ces 3 langues sont pratiquées. Dans un contexte de mondialisation et de globalisation accélérée des échanges, on parle depuis quelques années de la « mondialisation du droit », concept à l’origine de nombreux débats et polémiques mais dont nous retiendrons essentiellement le partage du droit et l’accès au droit dans des langues universelles, que sont bien évidemment le français, l’anglais et l’arabe. Enfin, il nous fallait en tout état de cause mettre à jour les traductions du code civil français qui existaient déjà en langues arabe et anglaise, datant respectivement de 2012 et 2013. La préparation d’un code civil trilingue répondait à cet objectif. J’ajoute que notre traduction anglaise sera gracieusement donnée à Légifrance et ainsi mise à la disposition du public.

JI : Comment est organisé ce code trilingue et son contenu contrôlé ?

GD : L’ouvrage est organisé en trois parties : les parties anglaise et arabe de part et d’autre, la partie française au milieu. Le texte en français est au centre pour en faciliter la consultation lors du recours à l’une des deux versions traduites. Concernant le contenu, il faut distinguer deux chantiers : la traduction d’une part et l’élaboration du contenu scientifique d’autre part. S’agissant tout d’abord des traductions, la traduction anglaise a été supervisée par le Professeur Michel Séjean, également Directeur scientifique de l’ouvrage. Elle a été effectuée par les professeurs Alain Levasseur (Louisiana State University, Baton Rouge) et David Gruning (Loyola University, Nouvelle-Orléans), qui avaient déjà traduit en anglais le code civil français en 2013. À ce binôme s’est ajouté le Professeur Randy Trahan (Louisiana State University), tout aussi expérimenté et disposant d’un œil extérieur, contribuant ainsi à bâtir une solide stratégie de traduction. La traduction en langue arabe a été effectuée dans son intégralité par Sader Publishing, par le Dr. Abir Ghanem Larson sous la direction de Maître Rany Sader. Fondée en 1863, Sader est la plus ancienne maison d’édition juridique toujours en activité dans la région du Moyen-Orient. Son savoir-faire et son expertise en font aujourd’hui un partenaire incontournable de LexisNexis pour l’ensemble de son activité éditoriale au Moyen-Orient. L’ouvrage, réalisé sous la direction scientifique du Professeur Michel Séjean, a été conçu par des auteurs universitaires, avec pour objectif de familiariser le lecteur non francophone ou non issu de la tradition juridique continentale au code civil français. Ainsi, l’essentiel des branches du droit civil est présenté par des notices introductives explicatives et synthétiques, rédigées par des spécialistes de chaque domaine, qui s’intercalent entre les dispositions du code. Chaque notice introductive est également traduite en anglais et en arabe. Les 10 notices composent ensemble un guide de lecture et d’analyse du code civil trilingue. Le texte et le guide sont complétés par un index alphabétique inséré à la fin de chaque partie, permettant à l’utilisateur du code de se repérer dans l’ouvrage par rapport à une thématique de recherche précise. Dans son ensemble, l’ouvrage est donc conçu pour accompagner au mieux ses utilisateurs, sur les plans pratique et scientifique.

JI : Avez-vous connaissance d’autres initiatives de la sorte ?

GD : Le travail de traduction et d’exportation du code civil français s’inscrit dans la lignée d’une longue tradition. Ainsi, dès son origine, l’ouvrage avait été conçu comme un instrument de politique étrangère. A titre d’exemple, il avait été traduit en latin rapidement après sa promulgation afin d’en permettre une diffusion effective. Au fil des années, le code civil a été traduit dans plusieurs langues : nous citerons principalement les traductions anglaise, espagnole et arabe. Cependant, les éditions des traductions précédentes se sont limitées à des versions bilingues. Le code civil français trilingue anglais-français-arabe constitue donc une innovation. Il s’agit de la première initiative permettant de réunir le texte original en trois langues dans un seul et même ouvrage. S’agissant de la volonté de LexisNexis et de Sader Publishing d’encourager internationalement la promotion du Rule of Law, nous travaillons main dans la main depuis 2008 dans la région MENA sur l’accès à l’information juridique par le biais de la création et la publication de contenus sur-mesure, la traduction de lois de l’arabe vers l’anglais, la mise en place d’outils juridiques en ligne et de plateformes technologiques sophistiquées. Le code civil trilingue constitue donc une initiative parmi plusieurs dans le cadre de notre collaboration avec Sader Publishing favorisant l’accès au droit, mais dont la particularité réside dans sa vocation globale, au-delà de la région MENA.

JI : Comment votre initiative traduitelle l’objectif de rayonnement par le droit poursuivi par la France

GD : La présente traduction s’inscrit en parfaite complémentarité avec l’action internationale menée par le ministère de la Justice : faire rayonner […] le droit civil […] et faire ainsi vivre la vocation universaliste qui était celle des rédacteurs du Code civil », précise Nicole Belloubet, ancien ministre de la Justice, dans sa préface du code civil trilingue. La vocation de l’ouvrage de diffuser la culture juridique civiliste fait partie intégrante de la stratégie d’influence par le droit, stratégie entreprise par les ministères français de la Justice et de l’Europe et des affaires étrangères (MEAE). A cet égard, les initiatives entreprises par les deux ministères sont multiples. A titre d’exemple, nous citerons le portail collaboratif Juscoop, développé par la Fondation pour le droit continental à la demande du MEAE, permettant la publication, le partage et l’échange d’informations sur les actions des acteurs français de la coopération juridique et judiciaire à l’international.

JI : Comment prévoyez-vous de diffuser, promouvoir et suivre l’accueil qui sera fait à ce code trilingue, notamment auprès des pays angloaméricains ?

GD : Nous sommes convaincus que la parution de l’ouvrage comble avant tout un manque, dans le monde anglo-saxon mais aussi dans le reste du monde, celui de l’accès au code civil français. Le code trilingue permet justement cet accès, facilité par les notes explicatives, dans sa version la plus à jour. Nous avons reçu le soutien, les félicitations et les remerciements de nombreuses personnalités à la suite de la publication du code, parmi lesquelles le Président de la République et le ministre des Affaires étrangères, qui se réjouissent également de la mise à disposition de la traduction anglaise sur Légifrance. L’accès à l’ouvrage demeure notre priorité, et c’est la raison pour laquelle nous avons aussi souhaité, avec nos partenaires, que son prix (49€), ne soit pas un obstacle à son acquisition. Notre volonté est d’éliminer toutes les barrières, linguistique et financière, pouvant empêcher les praticiens du droit à travers le monde d’accéder au code civil français. Par ailleurs, ce qui caractérise notre traduction anglaise, c’est la volonté de nos traducteurs de refléter les spécificités de la culture civiliste dans le choix des termes en langue anglaise. Comme le disait Michel Séjean dans un entretien accordé à la revue La semaine juridique – édition générale (No. 43/2020, LexisNexis), « Le plus important était de traduire le Code civil en deux langues, et non pas en deux droits ». Nos traducteurs ont ainsi veillé à ne pas tenter de trouver des équivalents de Common Law aux notions de droit continental. Nous sommes confiants que cette méthode de traduction rencontrera une appréciation particulière dans les pays anglo-saxons auprès des praticiens du droit, qui, au-delà du contenu même du code civil, pourront faire de cet ouvrage un moyen de se familiariser avec l’esprit du droit civil et d’en comprendre les spécificités. Ceci dit, nous nous aventurons avec beaucoup d’humilité dans cette expérience, puisque comme toute première, cette première édition du code civil trilingue est susceptible de comporter des imperfections et des points d’amélioration, que ce soit dans sa présentation ou dans ses traductions anglaise et arabe. Au fil des années, nous avons appris à associer notre public à nos différents projets, public qui constitue aujourd’hui un partenaire incontournable de toutes nos initiatives éditoriales. C’est pourquoi nous encourageons nos lecteurs à nous faire part de leurs remarques et propositions pour les éditions à venir. Pour LexisNexis et Sader Publishing, il ne s’agit que du début d’un nouveau projet et d’un nouvel engagement.

Guillaume DEROUBAIX
Directeur Général adjoint LexisNexis France
guillaume.deroubaix@lexisnexis.fr

Interview réalisée par Catherine PEULVE,
Rédactrice adjointe, Juriste International.

Martin Thibault